Atelier Alba, marqueterie contemporaine
Qu'est-ce que la marqueterie, la marqueterie de paille ou de bois, et comment sont-elles réalisées ? Ces techniques artisanales fascinent par leur finesse et leur créativité. Célia, fondatrice de l'Atelier Alba et ancienne élève de l'école Boulle, vous dévoile tout sur cet art unique, des Ateliers de Paris à ses créations modernes. Contrairement aux idées reçues, la marqueterie n’a rien de vieillot – c'est une technique qui se réinvente et qui apporte une touche de design contemporain à vos intérieurs.
Que fais-tu exactement ?
Je suis marqueteuse. J’ai fait une formation à l’école Boule qui était vraiment axée sur le travail du bois et des métaux. Après quatre ans de formation je me suis mise à mon compte. Par contre j’ai vraiment voulu sortir du traditionnel. J’aime intégrer de nouvelles matières qui soient plus modernes avec toujours cette idée de vraiment aller vers l’innovation dans ce savoir-faire.
La marqueterie c’est quoi exactement ?
C’est vraiment un savoir-faire d’ornementation. À la base ça a été développé plutôt pour des raisons de budget. Pour les ébénistes c’était moins onéreux de fabriquer un meuble avec des bois lambda et de le recouvrir de matières précieuses.
C’est un savoir-faire de découpe, d’assemblages de pièces avec toutes ces matières pour composer des motifs.
Quelles sont les matières utilisées en marqueterie ?
Traditionnellement on retrouve de belles essences de bois mais aussi des feuilles de métal qu’on associait à l’ébène ou à l’écaille de tortue. On pouvait y graver des détails et ça venait orner le mobilier.
Aujourd’hui, En marqueterie on va pouvoir utiliser toute matière qui se présente sous forme de feuille et qui va pouvoir se découper.
Du coup c’est vrai que ça peut ouvrir au textile, au plastique, au papier. Ce qui est intéressant c’est que les gens ont une version vieillotte de la marqueterie et cela nous ouvre les portes pour aller chercher des nouveaux matériaux et ainsi, surprendre.
Aujourd’hui nous pouvons appliquer la marqueterie sur du revêtement mural, de l’accessoire, du bijou, de l’objet déco… C’est vraiment très, très ouvert.
Tu as fait des sacs d’ailleurs !
Oui c’était une belle collaboration. L’idée était de chercher des nouveaux supports pour la marqueterie de paille sur un objet constamment en mouvement qui allait révéler la matière en étant porté.
J’adore aller rencontrer des artisans ayant des savoir-faire assez éloignés pour pouvoir créer un concept ensemble.
Il y avait beaucoup de choses à prendre en compte comme par exemple les frottements. Il fallait donc protéger la marqueterie et penser le modèle pour qu’elle ne soit pas frottée ou cognée constamment.
La première chose à faire est de regarder toutes les contraintes reliées à la matière : humidité, frottement, cognements. Et après on ajuste le projet.
Depuis que je suis aux ateliers de Paris j’ai plutôt axé le travail sur du mobilier et du revêtement mural. Ici aussi, Il y a beaucoup de contraintes par rapport au client, à ses demandes, à l’échelle du projet et à l’environnement pour lequel ce dernier est pensé.
Un exemple type, on m’avait demandé de faire une marqueterie pour un meuble qui devrait aller dans une cuisine. Je sais que du coup il y aura de l’humidité. Alors ça n’est pas adapté, ça peut poser problème pour la tenue dans le temps de la marqueterie. C’est là que j’étudie la question, ajuste et trouve une autre manière de faire.
Quelle est la différence entre marqueterie et marqueterie de paille ?
La marqueterie de paille c’est le parent pauvre de la marqueterie. Ça coûte moins cher d’acheter de la paille que de belles essences de bois. Mais finalement ces dernières années il y a eu un retournement de situation et on se retrouve avec une marqueterie de paille qui est aussi précieuse que la marqueterie de bois. La paille a des luminosités qui sont assez extra et des couleurs assez profondes. C’est très différent du bois.
Moi je vais choisir mes matières en créant des harmonies, des contrastes de lumière et de texture. Je vais chercher à associer du bois avec du parchemin, du cuir… On se rend compte qu’il il y a beaucoup de matières qui ont énormément de nuances. L’idée c’est de créer des compositions assez singulières.
Dernièrement j’ai travaillé avec une tisserande qui tisse le crin de cheval.
J’ai associé son tissage au bois et à la paille pour créer des nouveaux décors.
C’est innovant dans notre métier.
Ça permet de découvrir d’autres techniques, d’autres univers.
C’est vraiment ça que j’adore.
Quel est ton parcours ?
J’ai eu une formation d’art appliqué. Tout de suite ce qui m’a manqué c’est le rapport avec la matière. Au lieu de m’orienter vers un parcours design produit, je suis venue à Paris pour voir les écoles. Quand je suis rentrée dans l’atelier marqueterie de l’école Boule j’ai vraiment eu un déclic. J’ai postulé et j’y ai passé 4 ans.
J’ai travaillé après dans différents ateliers. J’ai travaillé dans un atelier de marqueterie de paille puis dans une entreprise de proto-packaging pour les maisons de luxe et le cosmétique ou je réalisais les décors des écrins et flacons avec une technique similaire à la sérigraphie. Ça m’a permis de faire d’autres expériences. Les relations clients, les couleurs, etc.
Et après j’ai monté mon atelier de marqueterie
Comment en es-tu venue aux Ateliers de Paris ? Et d’ailleurs, c’est quoi les Ateliers de Paris ?
Un peu par hasard. A l’école Boule, beaucoup d’étudiants montaient un dossier pour rentrer aux Ateliers de Paris. Moi j’y ai rencontré un bijoutier et en parlant avec lui il m’a dit que je pourrais tenter ma chance. J’ai fait un dossier sans trop y croire et en septembre, je me suis retrouvée dans mon atelier. C’est une structure dont la ville de Paris est à l’initiative. Ils mettent à disposition pour un loyer vraiment modéré des locaux et un accompagnement très personnalisé. Tous nos ateliers sont des ateliers partagés. Créateurs de mode, designers, artisans. On y trouve une multitude de profils. Quand on a une question en compta, juridique, etc., on est sûrs avec toutes les personnes présentes que quelqu’un pourra nous guider.
Aussi par rapport au réseau c’est important. On va pouvoir mutualiser ce réseau.
C’est limité à deux ans et après tu prends ton envol.
Pendant ces deux ans, les Ateliers de Paris nous soutiennent vraiment. Pour la suite ils t’aident à trouver ton prochain atelier avec un loyer abordable, car à Paris c’est assez compliqué d’avoir un loyer pas trop cher avec de la place, etc.
Chaque année, nous sommes environ quinze à y rentrer. Si vous postulez et que ça ne passe pas, il ne faut pas hésiter à retenter l’année suivante. C’est une très bonne structure pour commencer.
Quels conseils donnerais-tu à ceux qui aimeraient se reconvertir dans l’artisanat ?
En marqueterie il y a beaucoup de reconversions. D’ailleurs, dans l’artisanat en général. Moi je trouve ça important. C’est revenir à des valeurs concrètes. Il faut encourager ces initiatives-là.
Par contre c’est vrai que l’artisanat c’est une passion. Au début ce n’est pas forcément facile, car il faut arriver à se faire une place sur le marché alors ce n’est pas évident. Il faut s’accrocher. Ce n’est pas forcément dans les premières années que ça va décoller, ça va même être compliqué. Ce confort de vie au début il va falloir s’en passer.
Il y a beaucoup de moments de doute. Aux Ateliers de Paris on peut aussi échanger sur ces moments-là et se réconforter les uns les autres. Car ce n’est pas facile, vraiment.
Quand j’ai postulé aux Ateliers de Paris j’avais déjà créé mon entreprise. Après j’ai été accompagnée par des professionnels sur tous les aspects de base de l’identité. Ça m’a fait revoir entièrement la stratégie de mon entreprise. Depuis un an je refais tout le travail de chercher une nouvelle clientèle et je redéfinis toute mon identité.
Comment se passe une journée dans ton métier ?
On n’est pas simplement artisans … On a une multitude de casquettes. Il faut à la fois créer des pièces alors il y a des journées que l’on passe à l’établi. Mais il y a aussi toute la part de démarchage qui prend énormément de temps. Puis tout l’administratif.
Il n’y a pas vraiment de journée type. J’essaie de faire un planning mais c’est vrai que c’est souvent chamboulé avec les rendez-vous clients, etc. C’est un emploi du temps assez flexible.
Où achètes-tu ton matériel ?
J’ai beaucoup de chance, car mon atelier est dans le quartier historique des ébénistes. Du coup il y a des fournisseurs partout autour de moi. C’est super intéressant. Je peux prendre le temps de voir les matières, les toucher. C’est important de pouvoir voir, c’est une chance aussi de pouvoir beaucoup parler avec les fournisseurs.
Je suis rue Faidherbe, dans le 11ème, à Paris. Il y a encore beaucoup d’ateliers de menuisiers, d’ébénistes, de sculpteurs. En se baladant dans les rues on peut se retrouver dans une petite cour, une petite rue, on fait le curieux et on regarde à travers les fenêtres. On y voit des artisans sculpter, travailler. C’est génial.
Il y a la cour de l’industrie ou encore le viaduc des arts Quand on passe devant on se rend compte que ce ne sont que des ateliers. Il y a cet esprit d’entraide, c’est vraiment génial. C’est une ambiance très particulière, qui rappelle celle des anciennes corporations d’artisans.
Qui sont tes clients ?
Peu de particuliers, car cela coûte un certain prix de faire faire un meuble en marqueterie. De ce fait je suis surtout en relation avec des architectes, des décorateurs, etc. Ça peut être pour des hôtels, des appartements… Quand j’ai un rendez-vous je leur présente des échantillons et je les amène à se projeter. Ensuite ils vont ajuster en fonction du cahier des charges qu’ils auront élaboré avec leur client.
Mon savoir-faire c’est le tout dernier maillon de la chaîne. C’est la dernière chose qui va être appliquée sur le mobilier. Avant moi il y a beaucoup de monde, les designers, les agenceurs ou ébénistes. Moi j’arrive à la fin, c’est un travail d’équipe finalement.
Quel est le projet le plus fou que tu aimerais faire ?
Bonne question ! Un projet où je travaillerais à quatre mains avec un autre artisan qui aurait une manière incroyable ou un savoir-faire hyper rare. Faire une pièce avec lui, ce serait génial. Pas simplement juste comme ça, mais pour un client.
Par exemple, le crin de cheval, le placer sur un chantier vraiment concret c’est notre objectif de cette année avec Anaïs, la tisserande avec qui je travaille.
C’est vraiment le côté recherche et innovation qui me plait. Re-questionner mon savoir-faire, la manière de travailler la matière, chercher les nouveaux outils. C’est ça que je trouve intéressant.
Un secret à partager avec nous ?
Je pense que c’est important de garder un œil d’enfant, de pouvoir toujours être curieux. J’essaie de rester enfant le plus possible ! (rit)
Ce n’est pas tous les jours facile et si on n’arrive pas à garder ces petits plaisirs là ce n’est pas facile de s’accrocher ?
Ce que je trouve également génial et très inspirant c’est de se déplacer dans les ateliers et d’entendre les bruits. Je suis très sensible aux sons des différents secteurs de l’artisanat. Je trouve ça bien d’encourager les gens à aller voir cet aspect-là du métier. C’est très sensuel quelque part.
Merci à Célia d’avoir partagé sa vie d’artisane avec nous.
À bientôt!
Giulia