Les Français sont gâtés

View Original

Pascal Oudet, Dentelle de Bois

Des sculpteurs en bois absolument sublime. De la dentelle ... Mais à votre avis, quel est le parcours de Pascal Oudet ? La reconversion la plus étonnante que je connaisse !

Quand j'ai découvert les créations de Pascal, j'ai bien sûr eu un coup de coeur immédiat. Mais surtout j'ai eu beaucoup de curiosité sur ses techniques de travail. En plus de son talent certain, ce que j'apprécie beaucoup chez cet artiste, c'est sa générosité. En lui faisant l'interview il n'a jamais réfléchi ou cherché à ne pas m'en dire trop. J'avais l'impression de devenir son élève...

 

Quel est votre parcours ?

A la base, j’ai une formation d’ingénieur en électronique. Mon comité d’entreprise avait organisé un atelier collectif de menuiserie. J’ai commencé à apprendre, à ce moment-là, à faire des meubles. J’ai eu une révélation pour le bois. Dans mon enfance, je n’étais pas du tout intéressé par ce domaine, c’était vraiment un hasard. 20 ans plus tard, je suis toujours en train de travailler le bois et depuis quelques années c’est devenu mon travail à temps plein.

Pourquoi le bois ?

Je trouve cela assez génial. Plus je le travaille plus je m’interroge sur les arbres.

Au début je faisais vraiment n’importe quoi alors que maintenant je sélectionne mes arbres, d’où ils viennent etc. Il y a toute une histoire qui l’accompagne.

Habitez-vous en pleine forêt ?

Non, à côté de Grenoble ! Je vis quand même au pied des montagnes, mais je ne suis pas un ours perdu au fond des bois ! (rit)

Comment se passe une création chez vous ?

Je ne travaille que du bois frais. Je vais acheter mes troncs entre octobre et mars, dans la période où ils sont coupés, principalement dans le Jura et dans la Haute-Saône. Je choisis aussi au coup de cœur, car je vais travailler toute l’année avec le même. Je sais en avance la pièce que je vais créer et je choisis le tronc en fonction de mon idée. Pas l’inverse.  

Un tronc me dure environ un an, tout dépend le nombre de commandes que j’ai.

Parfois j’ai besoin de faire cinq pièces pour en avoir trois de bonnes.

Récemment, sur un tronc de dix mètres de long j’ai fait soixante-dix pièces. C’était une grosse commande. Mais c’est très rare.

Combien de temps passez-vous sur une pièce ?

Tout dépend vraiment de la pièce, mais pour vous donner une idée, pour réaliser la grande galette c’est 15h de tournage sans m’arrêter. Le sablage peut prendre une demie-journée sur une petite pièce mais cinq jours sur une plus grande. (Le sablage permet d’user la structure et de révéler la transparence.)

Avez-vous des choses à nous apprendre sur les différentes espèces d’arbre ?

Je ne travaille que du chêne. C’est la seule essence qui a une structure qui me permet de faire cette dentelle. Quand je pars choisir mon bois je vais chercher des troncs entiers.

Ce qui me plaît, c’est que je peux lire et apprendre beaucoup de choses sur l’arbre, à travers son tronc. Je peux savoir son âge en comptant le nombre d’anneaux. Je peux aussi lire les bonnes années, les mauvaises, les blessures, est-ce qu’il y a eu un animal, etc.  Tout est enregistré. Mon dernier tronc acheté a eu une vie de 160 ans !

Au-delà de l’aspect esthétique la pièce va raconter une histoire dans laquelle on peut se plonger.

Comment se passe une création chez vous ?

Quand j’ai commencé à tourner en 2001, j’ai participé à plusieurs formations très courtes. Mais en réalité, j’ai beaucoup appris sur le tas et je me suis énormément entraîné. La technique de dentelle c’est vraiment moi qui l’ai découverte complètement au hasard, en m’entraînant.

J’ai aussi beaucoup aimé pratiquer sur le châtaigner qui a un veinage très prononcé. En faisant ressortir celui-ci, j’en suis venu à le sabler. Je projetais du sable sous pression et cela faisait ressortir les veines. Puis, j’ai travaillé sur le vieillissement du bois. C’est par hasard que j’ai découvert que je pouvais faire de la dentelle. J’ai finalement vu que c’est avec le chêne que ça rend le mieux.

Au début c’était donc un accident et j’ai vu que je pouvais en faire quelque chose d’intéressant.

Vous arrive-t-il de mélanger le bois avec d’autres matières ?

C’est très rare. J’ai fait des théières avec une anse en fer forgé. C’est vrai que j’aurai envie d’explorer d’autres matières, mais je n’ai pas envie de me disperser et j’ai encore tellement à apprendre et explorer dans le bois…. Les souffleurs de verre ça me fascine. Mais je m’éclate dans le bois et ça ne m’ennuie pas.

Qu’est-ce qui fait les différentes couleurs ?

Ce sont des patines que je fais à la fin. La couleur naturelle va être le marron ou le blanc. Le noir et la rouille ce sont des réactions que je crée.

Par quel objet avez-vous commencé ?

Des œufs ! Ce sont les premières formes que j’ai faites. Ensuite, j’ai fait une rondelle. Mais je n’étais pas sûre que ça ne fendrait pas en séchant. Et en fait, aucune de mes sculptures ne peut se fendre, grâce au fait que je travaille le bois très finement. Il suffirait que ce soit plus épais pour que ça pète. La souplesse permet la déformation, sans rupture.

J’essaye d’avoir une jolie forme, mais qui joue avec la transparence.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Les bois usés. Dans les trucs que j’adore, les vieux troncs totalement décharnés, blancs, grisaillés. J’adore ça ! Dans les mêmes teintes que les bois flottés, ou encore le bois usé de 300 ans. C’est ça qui m’a donné envie.

Après le reste c’est vraiment mon imagination. Les bols ronds qui ont une forme ininterrompue… J’adore.  

Toutes vos pièces sont des sculptures où peuvent-elles aussi servir de vaisselle ?

Non ! Ce sont uniquement des objets de décoration. J’ai fait des théières, mais qui fuient ! (rit)

Avez-vous un secret ?

Mes mains ! Le seul secret c’est l’expérience. Le secret c’est: bosser, bosser, bosser. Et vraiment s’intéresser à la matière. Ce que je fais, ça ne marche que parce que je connais la matière. Je sais ce que je fais et je connais mes limites.

Où peut-on vous trouver ?

Majoritairement mes pièces partent à l’étranger : les États-Unis, l’Inde, la Suède, etc. En France je n’ai pas de point fixe, par contre je suis présent sur certains salons.

Merci Pascal !

J'espère que vous aurez eu autant de plaisir que moi à découvrir cet artisan. A très bientôt,

Giulia